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Titel
Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel


Autor(en)
Christin, Olivier
Erschienen
Paris 2014: Editions du Seuil
Anzahl Seiten
281 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Lescaze Bernard

Il est des livres qui vous confortent dans vos certitudes, tandis que d’autres s’emploient à les faire vaciller. L’ouvrage d’Olivier Christin, historien des conflits confessionnels et des identités religieuses au XVIe siècle, appartient à cette dernière catégorie. Une longue et minutieuse enquête sur les pratiques de vote avant l’avènement du suffrage universel l’a conduit à remettre en question bien des idées préconçues sur l’imaginaire continuité entre la démocratie athénienne et les démocraties occidentales contemporaines. Cet ouvrage poursuit «la double ambition de prendre congé des récits téléologiques enchantés et ethnocentriques, célébrant l’avènement conjoint de la liberté politique, de la pacification des conflits politiques, du citoyen moderne jouissant exactement des mêmes privilèges que tous ceux qui participent avec lui à l’exercice de la souveraineté, et d’échapper aux biais d’une approche exclusivement technique des pratiques et des règles électorales, décrites comme des solutions ou des outils dont on pourrait comparer les mérites et les défauts à travers les âges sans tenir compte des sociétés dans lesquelles elles fonctionnent et qu’elles contribuent à façonner». L’auteur veut donc éviter à la fois les théories politiques pouvant conduire à l’anachronisme comme le juridisme étroit de certaines pratiques électorales. Chronologiquement, l’auteur focalise son propos sur la période qui va du XVe au XVIIIe siècle, en se concentrant sur les élections ecclésiastiques et académiques, sans se priver d’examiner des pratiques de vote plus modestes comme celles qui ont cours dans des communautés urbaines ou rurales. Délibérément, il a écarté l’étude des pratiques électorales anglaises et vénitiennes, sans doute mieux connues, mais qui auraient apporté un étayage supplémentaire à ses thèses. Ne boudons pas notre plaisir puisque ce choix nous vaut des pages aussi neuves qu’éclairantes sur les diètes germaniques et helvétiques comme sur la pratique du Plus, ce vote des paroisses entre la messe et le prêche. Il s’agit donc d’un livre important qui remet bien des idées en place. Le lecteur suisse pourra regretter que l’auteur n’utilise pas le terme de votation pour distinguer celle-ci d’une élection proprement dite. Sous le vocable vote, il englobe aussi bien le choix des autorités devant conduire une communauté, un collège, un couvent ou une ville que la prise de décision sur une question donnée qui, elle aussi, fait appel à la notion de majorité. Olivier Christin montre admirablement que les institutions d’Ancien régime ne préfigurent pas l’invention des régimes représentatifs modernes. Elles reposent sur des principes de différenciation des statuts, et non d’égalité citoyenne, de manifestation d’un ordre social plutôt que d’invention d’un espace public commun. Il faudrait bien sûr faire encore davantage la différence entre les pratiques de vote de sociétés monarchiques et celles reposant sur des éléments plus corporatistes. Le rôle du tirage au sort ou de la cooptation ne saurait être le même. La volonté de dépasser l’analyse juridique stricte des règles électorales conduit parfois à ne pas saisir complètement les effets de certaines pratiques. L’auteur imagine, qu’à côté du latoisage et du panachage des bulletins de vote suisses, le cumul affaiblit les partis politiques. En fait, si le parti ne cumule qu’une partie de ses candidats, cela le renforce. En revanche, on pourrait citer tant de remarques pertinentes, d’observations judicieuses qui font de la lecture de ce livre une mine de réflexions sur la manière dont sont prises les décisions politiques, économiques, voire judiciaires à l’époque moderne. Olivier Christin démontre de façon probante l’importance des conflits de préséance dans les assemblées d’Ancien régime, querelles souvent négligées par les historiens. Or, souvent, elles éclairent des enjeux centraux puisque ces assemblées ont aussi «pour fonction de dire ce qu’est le monde social et politique et la manière dont il s’ordonne». Il s’agit d’un monde d’hommes et pourtant on peut constater que dans certaines communautés paysannes, aux environs de Genève, des femmes, veuves ou tutrices de leurs enfants mineurs, participent aux décisions des assemblées de communiers aux XVIe et XVIIe siècles.

La constitution même du corps électoral, surtout dans une époque où les suffrages se pèsent autant qu’ils se comptent, comme le disait encore trois siècles plus tard Sismondi, aurait pu faire l’objet de réflexions aussi stimulantes que celles concernant le nombre des participants aux conclaves, qui ne cesse de s’élever depuis le XVe siècle. Ce ne sont là que vétilles, comme quelques menues erreurs de transcription des noms de patriciens genevois. Ce livre est important, ce livre est neuf, tant par son approche que par sa volonté de faire avancer la réflexion historique sur un sujet déjà entamé par les historiens du droit et des institutions au XIXe s., mais entièrement repris, à nouveaux frais, sur la base d’une large enquête, apportant des résultats parfois décoiffants pour ceux qui préfèrent les idées reçues aux idées originales. Car le plus grand mérite de cet ouvrage est d’être sans doute profondément intéressant dans sa conception comme dans les concepts qu’il construit.

Zitierweise:
Bernard Lescaze: Rezension zu: Olivier Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris: Le Seuil, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 500-502.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 65 Nr. 3, 2015, S. 500-502.

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